De l’underground à la vie mondaine, Alain Pacadis a inventé une nouvelle forme de journalisme. Constamment ravagé (les drogues, l’alcool, le spleen…) et noctambule insatiable, ivre des nouvelles tendances, des nouvelles musiques, des nouvelles stars. De la scène punk jusqu’à la variété française, en passant par les années Palace, le recueil de ses articles dessine le portrait d’un jeune homme chic et trash.
Alain Pacadis, c’est d’abord une allure, révélatrice d’un individu qui s’exclut volontairement des normes. Il a des cheveux gras, toujours, un goût vestimentaires plutôt sobre, mais trahi par des tâches et d’autres déchirures significatives. Sa dégaine est légèrement instable. A 24 ans, répand déjà autour de lui une odeur de soufre. Il faut dire que pour cet âge, le jeune homme accuse une vie chargée. Son père meurt très tôt, puis vient le souffle de 68 et son joli mois de mai, pour lequel il se passionne. Mais aux grandes espérances succèdent d’une part le désenchantement « politique » et surtout le suicide de sa mère, qui l’interpelle spécialement.
Sans repère, le post adolescent décide de faire la route (comme toute une génération). Il se raccroche à sa fascination pour la culture hippie américaine. Kerouac, Burroughs, Ginsberg : voyage, drogue, rock. De retour à Paris, en 1970, il se trouve une famille auprès du FHAR (le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire), et particulièrement de sa frange la plus cultivée et « folle », les Gazolines. C’est un groupe de pin-up transsexuelles bien plus fascinées par le style Hollywoodien des années 50 que par Mao et son col. La rédaction d’Actuel le refusera toujours ; c’est donc Le Saltimbanque puis Pluriel qui lui donnent sa chance.
Bien vu, puisque Pacadis, très bon ami de Nico qui vit alors à Paris, a découvert grâce à elle un groupe dont il perçoit immédiatement l’influence : le Velvet Underground. Dès 1973, les chansons vénéneuses du groupe new-yorkais vont littéralement hanter les chroniques du jeune Pacadis. Ce sont des citations (souvent traduites et intégrées à son propos, donc réservées à un public averti) et des titres empruntés (ses fameuses rubriques White Flash dans le Velvet puis Nighclubbing), recompositions des chansons en chroniques romancées (l’histoire de Caroline – cf. Caroline says -), Lou Reed, tout comme David Bowie et Iggy Pop nourrissent totalement le critique.
A travers eux, et avec l’aide de ses amis Yves Adrien et Marc Zermati, Pacadis est à l’affût des nouveaux sons. Il ne rate pas l’évolution qui conduit, quatre ans plus tard, au punk. A partir de juin 1975, Pacadis intègre Libération, où il commence en couvrant le festival de Cannes… dans sa version porno. Son intérêt pour la nuit ne le mêne pas que dans des salles de concert. Il est donc le chroniqueur idéal de la contre-culture, sujet très important pour un journal qui vient de se créer sur des idéaux de révolte et de nouveau journalisme.
Au cours de ses premières années à Libé, il interviewe successivement Brion Gysin, Andy Warhol, Philippe Garrel (un ami proche), Bukowski (ils parlent à peu près uniquement d’alcool), Amanda Lear, Adolfo Arrieta (cinéaste plus qu’underground), Werner Schroeter, Serge Gainsbourg à plusieurs reprises (autre ami proche), Marie-France (une amie), les Clash (des potes). Bref, un mélange de proches et d’artistes admirés. Pacadis est un peu le « côté obscur » de Libération, celui qu’il leur faut assumer. Il signe ses textes Alain « Never Mind OD » Pacadis ou qu’il intitule ses papiers « Gerbe ! Gerbe ! Gerbe !. La somme des articles révèle une pratique éhontée du copié collé, dans un style littéraire pas forcément des plus châtiés.
Mais le charme de l’homme naît de ses faiblesses, qui ne lui sont, de son vivant, pas pardonnées par un lectorat en état de choc. Son style dandy, plein d’affirmations catégoriques et de flambées lyriques et imbibées, aurait pu le conduire très loin. Mais une sensibilité, à laquelle le temps a rendu justice, semble le guider. Il peut, par fidélité, défendre ses amis de manière outrancière, déclarant de Patti Smith, à la sortie de son premier album, Horses :
« Quand elle chante, c’est Lou Reed et Jim Morrison avec des relents de Burroughs. On pense à Elodie Lauten, malheureusement ce n’est pas aussi bien… «
Punk depuis 1973, Pacadis est peu blasé en 1977, lorsque les Sex Pistols renouvellent la provocation rock. Sous l’influence d’Yves Adrien, il cherche déjà autre chose, une nouvelle sensation, un nouveau flash. Il publie Un jeune homme chic, le journal de son année 77, et arrête sa rubrique rock à Libé. C’est désormais au son de la disco dans les boîtes de nuit, et plus particulièrement avec la naissance du Palace en 1978, que Paca, comme on le nomme, va renaître de ses cendres – pourtant déjà bien consumées.
Sa rubrique devient dès lors Nightclubbing. Il y relate toutes les semaines les soirées auxquelles il participe, donc toutes les soirées hype de Paris. Mais elles s’accumulent, et avec elles les litres d’alcool et les kilos de drogues en tout genre. Pacadis transforme alors progressivement sa rubrique en journal intime. Il y exprime, de plus en plus violemment et sans fard, son angoisse de la solitude et sa perte progressive de contrôle. Les prénoms de ses amants apparaissent désormais dans ses textes. Il sont accompagnés d’exhortations au retour, d’excuses, de plaintes, de hurlements de douleur. Cela vient d’un homme dont la vie sentimentale est toujours des plus chaotiques.
Toujours en évolution, le style de Pacadis passe sans cesse du plus basique au plus travaillé, de la quasi-nouvelle au simple compte-rendu factuel, en passant par le poème autobiographique. Avec beaucoup de lucidité, comme il en faut pour parler de soi avec autant de sincérité, Pacadis n’hésite pas à se moquer de lui-même :
« Si j’avais encore 10 sacs, je pourrais facilement trouver un peu de bonheur plié dans du papier blanc mais je n’ai même plus d’argent, il ne me reste rien sauf des frissons dans le dos à chaque fois que je me réveille la nuit ».
Au Palace, toutes sortes de stars se rencontrent, celles de la nuit, comme celles du showbiz. Bayon, son rédacteur en chef à Libération, demande alors à Pacadis de se transformer, en 1983, en journaliste mondain. Il doit être capable d’interviewer aussi bien une super star de la télévision qu’un acteur connu. Indomptable, Pacadis insuffle évidemment un ton complètement décalé face aux stars. Il parle plus volontiers d’alcool et de drogue que de plan média.
Avec lui, les langues de bois ont du mal à passer. Mais, surtout, et c’est ce qui fait tout le prix de chacune de ses interviews, Pacadis n’essaie jamais de « se payer » un invité. Il n’est pas là pour se moquer, mais juste pour passer un bref moment, à l’invité de le rendre plus ou moins profond et sincère. Sur cette base de constant respect, le résultat est souvent déconcertant. Ainsi, il consacre une des interviews, parmi les plus touchantes, à Jeanne Mas, en plein trip de désespoir amoureux. Ceci convient alors parfaitement à Pacadis qui écrit :
« Elle m’écoutait et pouvait tout comprendre » Libération : Dans tes chansons, l’amour n’est pas partagé… J. M. : Jamais l’amour n’est partagé ! L’autre n’est jamais concerné. Parfois, il n’est même pas au courant ! Je l’aime, mais il n’en sait rien : tout passe par des photos prises à son insu, qui reviennent en flash pendant la nuit… » (Libération, 17 octobre 1985).
Des mots qui pourrait appartenir à Pacadis… I’ll be your mirror. Il est journaliste pour Actuel, Libération, Gai Pied, Globe et night clubber avant tout. C’est le prototype absolu de ces années glam-punk, strass et poignets de force. Il écrit un journal surtout pas intime, Un jeune homme chic, aux éditions du Sagittaire en 1978. Ce sont des chroniques au jour le jour de ses nuits effrénées.
On y retrouve Clash, Daniel Schmid et Ingrid Caven, Gainsbourg, Lou Reed, Wayne County, Marie-France, Alain Kan, Brion Gysin, Asphalt Jungle, Patti Smith, Iggy Pop, Métal Urbain, Télévision… Le livre de Bernier et Buot , L’Esprit des Seventies (Grasset, 1994) lui est consacré. Mais il n’y est plus entouré que de ceux qui ont été starifiés. Exit Daniel Schmid et Alain Kan. Pacadis meurt en décembre 1986, étranglé par son petit ami à qui il avait dit « vouloir mourir ». Son fantôme doit dormir au Palace.
Sources : Emission Apostrophe sur France 2 du 07/04/1979. Date de création : 2007-02-12.