Yvan Salmon, dit Victor Noir, voit le jour le 27 juillet 1848 à Attigny (Ardennes). Il est tout d’abord apprenti horloger, puis fleuriste. Mais la réussite de son frère, Louis Noir, l’attire à Paris.
Il fait alors ses débuts de journaliste au Corsaire, qui succombe sous le poids des amendes pour atteinte à l’ordre. On le retrouve au Journal de Paris, au Satan, il collabore ensuite à La Marseillaise, fondée par Henri Rochefort.
Pascal Grousset, rédacteur en chef à La Marseillaise, se considère comme offensé par un article signé par le prince Pierre Bonaparte. Celui-ci est le cousin de Napoléon III ; c’est un sanguin, irascible et violent.
Pascal Grousset charge ses collaborateurs de se rendre avec lui au domicile du prince, à Auteuil, pour y présenter une demande de réparation par les armes. Au matin du 10 janvier 1870, en compagnie de Victor Noir et Ulric de Fonvielle, il part pour Auteuil. En route, Georges Sauton, journaliste au Réveil, les rejoint.
Mais, le matin même, Henri Rochefort reçoit une lettre du prince Pierre Bonaparte le provoquant en duel. Il décide d’y répondre sur le champ et choisit ses témoins : Charles Millière et Arthur Arnould. Ceux-ci décident, eux aussi, de se rendre à Auteuil. C’est de ces deux démarches parallèles que le drame va naître.
On introduit le premier groupe, avec Victor Noir, dans le salon où on les prie de patienter. Le prince apparaît. Pascal Grousset lui tend une lettre, le prince la prend et la froisse. Le prince alors se lance dans une diatribe contre Rochefort « le porte-parole de la crapule » selon lui.
Il revient du côté des témoins, et soufflette violemment de la main gauche Victor Noir. De la droite, il sort un revolver à dix coups de sa poche et tire à bout portant sur lui. Victor Noir titube et s’écroule.
Ulrich de Fonvielle rapporte que le prince se précipite alors sur lui et tire un coup de feu dans sa direction. Il recule puis sort en criant à l’assassin. Dans la rue, il retrouve Victor Noir qui a eu la force de sortir de la maison mais est tombé sur les genoux.
On transporte Victor Noir chez un pharmacien voisin où on constate rapidement sa mort. Les témoins de Rochefort arrivent quelques instants plus tard et on les dissuade d’entrer au domicile du prince.
L’Empereur Napoléon III, de retour de Saint Cloud, devient livide en apprenant la nouvelle. Le garde des Sceaux fait arrêter et emprisonner le prince Pierre Bonaparte à la Conciergerie. L’Empereur approuve la décision. On rapporte le corps de Victor Noir à Neuilly, chez lui.
Tous ses amis défilent devant sa dépouille et André Gill fait un portrait du défunt. Rochefort fait paraître un article « Assassinat commis par le prince Pierre Napoléon Bonaparte sur le citoyen Victor Noir » dans les colonnes de La Marseillaise. A midi, on saisit le journal, mais trop tard, 145 000 exemplaires ont été vendus.
Le Paris populaire se révolte. Les républicains les plus modérés, Jules Favre, Jules Simon, Jules Ferry, Eugène Pelletan et Léon Gambetta, se tiennent à l’écart. Les obsèques de Victor Noir ont lieu le 12 janvier par un temps abominable. Tous les ateliers sont vides, les ouvriers ont cessé le travail.
Victor Noir doit être inhumé à Neuilly, y habitant. Mais le peuple de Paris souhaite que sa dépouille soit inhumée au Père Lachaise. La foule, énorme, se dirige vers la demeure de Victor Noir. La police l’estime à quatre-vingt mille personnes. Craignant des émeutes, on interdit au cortège de pénétrer dans la capitale et l’armée est mise sur le qui-vive.
Deux clans se dessinent, opposés, ceux qui désirent la lutte, la révolte, et veulent emmener le cercueil à Paris, et ceux qui redoutent la répression et le carnage et se décident pour l’inhumation à Neuilly.
Henri Rochefort apparaît, pâle, les traits tirés. Il hésite puis Charles Delescluze, rédacteur du journal Le Réveil, lui souffle les quelques mots :
« Conduisons notre frère au cimetière de Neuilly et descendons sans trouble à Paris ».
Mais la foule insiste pour conduire le corps à Paris. Le corbillard est dételé et la foule tente d’enlever le cercueil. On craint alors une bataille rangée. Puis le cercueil est repris et mis sur la voiture. Tout le monde, alors, suit sous la pluie le convoi qui s’ébranle.
Sur la fosse ouverte, Louise Michel rend un dernier hommage à Victor Noir et elle décide, ce jour-là, de ne plus quitter le deuil. Elle tiendra parole.
Le meurtre de Victor Noir conduit le prince Pierre Bonaparte devant la Haute Cour de Justice, comme l’exige son rang. Après des débats houleux, on reconnait le prince non coupable d’homicide volontaire. On affirme sa légitime défense et on l’acquitte. L’empereur Napoléon III demande à son cousin de quitter Paris pour éviter les troubles prévisibles. Mais le prince refuse.
En 1891, on conduit les restes de Victor Noir au Père Lachaise, au cours d’une cérémonie commémorative. La République honore ainsi un martyr de la foi républicaine.
Pour apprendre des anecdotes sur la sépulture
Sources : Planche (Fernand) Vie ardente et intrépide de Louise Michel, Chez l’auteur, Paris, 1946. Date de création : 2006-03-12.