Guy (Prosper Eustache) Môquet voit le jour le 26 avril 1924, à Paris (18ème). C’est le fils de Prosper Môquet, cheminot, syndicaliste, député du Parti Communiste Français (PCF) du 17ème arrondissement de Paris, et de Juliette Thelot, conseillère municipale de Paris. Le gouvernement Daladier ayant dissous le PCF, on arrête Prosper Môquet le 10 octobre 1939. Il est déchu de son mandat de député en février 1940 et déporté dans un camp d’internement français en Algérie.
Guy Môquet fait de bonnes études au lycée Carnot et s’engage dans le mouvement de la Jeunesse Communiste. À l’été 1940, il participe à sa reconstruction clandestine.
On l’arrête, le 13 octobre 1940, à la gare de l’Est pour distribution de tracts clandestins. Emprisonné à la Santé, puis à Fresnes, il est, malgré son acquittement, maintenu en prison et envoyé en camp d’internement.
C’est au camp de Choisel, près de Châteaubriant (Loire-Atlantique), où il arrive, le 15 mai 1941, qu’on le fusille comme otage avec 26 de ses camarades, le 22 octobre 1941, à l’âge de 17 ans. On l’enterre d’abord au Petit-Auverné (Loire-Atlantique). Il repose désormais avec d’autres otages fusillés à Châteaubriant, Nantes, Caen et au Mont Valérien, dont Victor Renelle (1888-1941), syndicaliste et franc-maçon, Lucien Sampaix (1899-1941), résistant communiste, et Jean-Pierre Timbaud (1904-1941), syndicaliste.
Témoignage (d’Annick, fille de l’institutrice du village du Petit-Auverné, Loire-Atlantique) :
« Ces jours-là, toute la région ne parlait que des 27 otages fusillés à La Sablière. Le 24 octobre au matin, on apprend que trois d’entre eux allaient être enterrés dans le cimetière du village, dont Guy Môquet. Parmi nous, son nom est le seul à circuler, parce qu’il est si jeune. A l’époque, être communiste, c’est faire partie des bannis … comme si on est juif. Pour Guy Môquet, la population n’est pas allée chercher si loin que ça : c’est un enfant qu’on avait fusillé, et voilà. Il est un héros. Au Petit-Auverné, le jour de l’inhumation, l’ordre est donné que personne ne sorte des maisons, ni ne s’approche du cimetière … Un recoin le long du mur avait été choisi pour y creuser les tombes.
Le jour de la Toussaint, une fermière vient chez nous avec son beurre. Elle est très émue. « Si vous voyez les tombes ! », dit-elle. « Elles sont couvertes de fleurs, bleues pour l’une, blanches pour l’autre, rouges pour la troisième ». Un cordon empêchait d’accéder directement aux trois tombes. Il n’y avait pas de plaque, seulement des numéros, mais tout le monde savait que celle de Guy Môquet est au milieu …
Au Petit-Auverné, le car de Nantes passe deux fois par semaine. Regarder ceux qui montent et ceux qui descendent est alors une occupation prisée. Un soir, la rumeur s’est mise courir que Madame Môquet est dans le car. Au village, elle s’est installée dans une des chambres que louait Madame Salmon, au-dessus de son bistrot … C’est courageux de la part de madame Salmon de recevoir cette dame. Ce genre de chose pouvait avoir un impact à l’époque, on risquait gros. De tels bruits courraient sur Madame Môquet, qu’elle sortait seulement pour aller au cimetière et à la nuit tombante, dans le village sans lumière, à l’heure où tout le monde est barricadé chez soi.
Un soir, quelqu’un frappe à la porte de notre maison. Avec maman, on meurt de peur. On se regarde, on ne sait pas. On entend une petite voix. Elle dit : « C’est madame Môquet ». Cette femme-là chez nous ! C’est inattendu, totalement ! En arrivant dans notre bourg, Madame Môquet n’avait aucune idée de l’endroit où elle mettait les pieds … Ma mère, elle était une institutrice laïque. A l’époque, c’est quelque chose qui comptait beaucoup. On disait encore « l’école du diable » pour désigner l’école publique et, au Petit-Auverné, toutes les filles -sauf moi- étaient inscrites chez les Sœurs …
Avec maman, nous étions blotties de l’autre côté de la porte, terrifiées, surtout qu’en face de chez nous, habitait le maire, un collaborateur. C’est compliqué, dangereux de recevoir quelqu’un comme Madame Môquet. Mais comment ne pas le faire ? On ouvre. Je n’oublierai jamais cette image tant elle est saisissante. Se dressait devant nous en pleine nuit une grande dame brune, tout en noir, les cheveux noués en catogan, beaucoup d’allure, une élégance incroyable, figée dans la dignité et la douleur.
Elle entre. De son sac à main, elle sort son portefeuille et de son portefeuille une lettre. Elle nous la tend. C’est celle de son fils Guy. On la lit et on la relit. On reste debout, sans savoir quoi faire. Maman lui a dit qu’elle pouvait revenir à son prochain voyage, en toute discrétion bien sûr.
La fois suivante, Madame Môquet tenait une couronne mortuaire, en petite perles tressées comme on faisait à l’époque. Elle nous dit : « Cela fait trois semaines que je dors avec cette couronne contre moi, parce que je veux lui transmettre tout mon amour avant de la déposer sur la tombe de mon fils ». Elle l’avait cachée dans ses bagages pour le voyage.
Elle est venue cinq ou six fois, toujours avec son second fils, Serge, qui avait deux ou trois ans de plus que moi. Quand elle est avec lui, elle avait un air très doux, n’affichait rien, jouait beaucoup. Je ne l’ai jamais vue pleurer. Avec une amie, nous avions adopté Serge, nous partions des heures en vélo ensemble. Ensuite, les voyages sont devenus trop périlleux et ils ne sont plus revenus. »
Sources : Aubenas (Florence) dans Le Nouvel Observateur du 20 octobre 2007. Date de création : 2007-02-01.