Les suicidés du Père Lachaise

Pierre Yves Beaudouin, qui a publié beaucoup de sépultures du cimetière dans Wikimedia, les rendant ainsi plus visibles par tous, propose ici un article original et passionnant. (D. Muller)

Le cimetière est la dernière demeure. Bien que, plus exactement, ce soit l’ossuaire qui le soit, puisque le cimetière n’est qu’une étape intermédiaire plus ou moins longue destinée au recueillement de la famille et des proches. Mais le cimetière est également un lieu où on y meurt volontairement, accidentellement et parfois par homicide.
Grâce aux bibliothèques numériques Gallica et Retronews qui mettent à disposition sur Internet des vieux articles de journaux, j’ai pu identifier vingt-huit suicides entre 1833 et 1944. On y trouve une proportion importante d’hommes. Vingt-trois hommes se sont suicidés, dont dix-neuf par arme à feu. Un homme s’est pendu à une croix et un autre a tenté de mettre fin à ses jours à l’aide d’un rasoir. Quand aux cinq femmes, deux ont opté pour le pistolet et le poison et une s’est pendue dans le cimetière.
Voici quelques uns de ces drames.

Thérèse GAST née HEIMBURGER (ca 1819-1897)

« Dans le cimetière du Père-Lachaise, on a trouvé pendue, hier matin, à la grille d’une chapelle funéraire une femme qu’il a été impossible de rappeler à la vie, bien que la strangulation ne parût pas complète. Dans la poche de la robe de cette infortunée, on a trouvé une lettre signée veuve Gast. La pauvre femme disait en substance qu’elle ne pouvait survivre à son mari et à ses enfants et qu’elle préférait la mort à la douloureuse existence qu’elle menait.
Le corps a été reconduit au domicile de la défunte, 6, cité d’Angoulème. Mme Gast était âgée de soixante-dix-huit ans. » (Suicide au Père-Lachaise, Le Matin, 16 mai 1897, page 3).

Clémentine GIRARD  (ca 1858-1913) – Division 42

« En faisant sa ronde habituelle, hier matin, vers neuf heures, M. Louis Lamette, garde au cimetière du Père-Lachaise, aperçut dans la quarante-deuxième division une femme étendue sur une tombe où se lisait, creusée dans la pierre, l’inscription : « F. Girard ».
Il s’approcha, secoua un peu vigoureusement cette femme qu’il croyait endormie ou malade. Elle était morte.
Elle s’était tuée en se tirant une balle dans la tempe droite. L’arme dont elle s’était servie était près d’elle. C’était un tout petit pistolet de cycliste, un véritable jouet d’enfant, incapable, aurait-on cru, de blesser, bien moins de tuer.
Il y avait aussi, à côté de la morte, un petit carnet de notes à peine lisibles et une lettre dans laquelle elle annonçait — la misère et le chagrin l’y poussant — son intention de se donner la mort. Cette sorte de testament était signé :  » Clémentine Girard, 46 rue Nationale ».
La désespérée, une pauvre vieille de cinquante-cinq ans, assez mal vêtue d’une jaquette, d’une jupe et d’un tablier noirs, chaussée de vieilles pantoufles et la tête couverte d’un fichu noir, était venue mourir sur la tombe d’un des siens. » (Suicide au Père-Lachaise, Le Petit Parisien, 7 avril 1913, page 2).

Galia BRAILOWSKI (1907-1927) – Division 7

« Une jeune Russe, de riche famille, Mlle Galia Braïlowski, née à Odessa le 7 mars 1907, s’est suicidée, hier, sur la tombe de son père, au cimetière du Père-Lachaise.
Voici le récit que nous a fait Mme Scholtez, concierge de la porte du Repos à la nécropole :

« Je connaissais, pour ainsi dire, Mlle Braïlowski, qui venait fréquemment visiter le caveau tout proche de ma loge, dans la 7e division, où est inhumé son père. Un peu avant déjeuner, aujourd’hui, elle est arrivée en taxi et s’est rendue en courant jusqu’à la tombe. Intriguée par son allure, je l’ai suivie du regard. Je l’ai vue écrire sur un papier qu’elle avait sorti de son sac à main, puis placer à terre le papier sous le poids de son sac. Elle a alors croisé ses bras sur sa poitrine et baissé la tête. J’ai cru qu’elle se recueillait. Mais, soudain, elle s’est affaissée.  Alors, j’ai couru jusqu’à elle pour lui porter secours, car j’ai pensé tout d’abord qu’elle s’était évanouie… Mais, près d’elle, penchée sur son corps, j’ai aperçu à terre un petit revolver, avec lequel elle venait de se tirer une balle à la poitrine. »

Le gardien de cimetière Ernest Bouvet et le fossoyeur Paul Villeray s’empressèrent auprès de la jeune fille, qu’ils transportèrent à l’hôpital Tenon. Elle y mourait peu après sans avoir pu prononcer une parole.

Le papier retrouvé près de la victime ne portait que ces simples mots : « Je m’appelle Braïlowski. » » (Une jeune russe se suicide au Père-Lachaise sur la tombe de son père, Le Journal, 30 août 1927, page 1)

Justin Camille FLEURY (1847-1913) – Division 28

Les suicides ne font pas tous l’objet de longs articles de presse. Certains titres de presse traitent ces drames en une seule phrase :

« On a trouvé pendu dans une allée de la 28e division, au cimetière du Père-Lachaise, un sexagénaire, M. Justin Fleury, demeurant 50, rue Voltaire, qui s’est suicidé à la suite de chagrins intimes. » (Un suicide au Père-Lachaise, Le Petit Journal, 18 septembre 1913, page 2)

Justin Camille Fleury (1847-1913) est un ancien combattant de la Guerre 1870-1871 qui devient chapelier. C’est aussi le père de l’imprimeur et éditeur de cartes postales Fernand Désiré Fleury (1874-1916), qui publie la série d’environ 200 cartes postales intitulée Le Père Lachaise historique.

Après la mort de son épouse, Anne-Marie-Victoire Aubert (1845-1912), survenue le 30 octobre 1912, et atteint d’une maladie incurable, Justin Camille préfère mettre fin à ses souffrances. Il se pend à une croix de la sépulture de la famille Deschènes, dans Division 28.

 

Pour conclure, vous pouvez retrouver tous les articles de presse dans Wikimedia Commons.

Sources : Pierre Yves Beaudouin. Date de création : 2021-04-06.

Photos

Le Père Lachaise

Date de la dernière mise à jour : 5 décembre 2021