De quelques questions édifiantes
Le cimetière du Père Lachaise ou la poudre aux yeux des morts, comme le dit Honoré de Balzac :
« C’est une infâme comédie ! C’est encore tout Paris avec ses rues, ses enseignes, ses industries, ses hôtels; mais vu par le verre dégrossissant de la lorgnette, un Paris microscopique, réduit aux petites dimensions des ombres, des larves, des morts, un genre humain qui n’a plus de grand que sa vanité».
Pourquoi ce nom ? Le Père Lachaise n’est pas vraiment son nom officiel : c’est le cimetière de l’Est. Trop administratif, les parisiens lui préférèrent toujours celui de « Père Lachaise ». il fait en référence à François d’Aix de la Chaise (1624-1709), membre de l’ordre des Jésuites, et qui fut confesseur de Louis XIV. Cet intime du roi venait fréquemment se reposer dans la maison et le parc que possédait l’ordre en ce lieu.
Que reste-t-il du parc des origines ? Le cimetière se superpose au jardin initial : le tracé du secteur romantique en rappelle largement l’ordonnance. La présence de 6000 arbres, dont certains contemporains du père Lachaise lui-même, est également une survivance du parc des Jésuites. Le chemin des Chèvres existait déjà il y a trois siècles. Une citerne, toujours visible, a donné son nom à un chemin bordant la 24ème division. Si le château des Jésuites n’existe plus, la chapelle du cimetière occupe son emplacement. L’entrée du parc des origines est aujourd’hui l’entrée principale du cimetière.
A quels besoins répondait ce cimetière ? A un besoin hygiénique et urbanistique tout d’abord. Les cimetières de l’Ancien Régime, à l’exemple des Saints Innocents dans le centre de Paris, étaient saturés. Les plaintes des riverains étaient nombreuses, compte tenu des nuisances aisément imaginables. Il fallait également prendre en compte l’extension de la ville face à la poussée démographique. L’idéal hygiéniste des Lumières œuvra. A la fin du 18ème siècle, on donne l’ordre de créer de nouveaux cimetières loin des centre des villes. Il faut néanmoins attendre encore une vingtaine d’année pour que ceux-ci voient le jour.
A un besoin politique ensuite : la Révolution Française étant passée par là, le processus de sécularisation était en œuvre. L’image du cimetière paroissial et confessionnel était en train de disparaître. L’Etat napoléonien voulait affermir son pouvoir sur des institutions jusqu’alors ecclésiastiques.
A des besoins sociologiques : la mort individualisée ne s’accordait plus avec la vision anonyme des charniers de l’Ancien Régime. En outre, le principe d’un panthéon esthétique « à la française » (parc arboré, tombeaux édifiants) séduisait une élite avide de reconnaissance.
En quoi est-il différent des cimetières antérieurs ? Répondant à une conception sécularisée des cimetières, le Père Lachaise n’est plus un enclos paroissial. Sa taille également le distingue, et atteste d’une prise en compte des extensions futures de la ville. Les concessions à perpétuité, que célébreront rapidement des monuments pérennes, furent également une nouveauté.
Dernier point, et non des moindres, il fut conçu dès l’origine comme un lieu esthétique et éducatif, ce qu’il demeure aujourd’hui.
Quand a-t-il ouvert ? Le 21 mai 1804. La mairie de Paris a fêté son bicentenaire avec un monument.
Qui sont les différents promoteurs du cimetière ? Napoléon, bien sûr, qui donna son aval au projet déjà ancien de fondation du cimetière, le préfet Nicolas Frochot, ensuite, qui acheta le terrain et mit le projet en œuvre, l’architecte Alexandre Théodore Brongniart enfin, qui en conçut les premiers plans. A ce triumvirat, ajoutons Louis Baron-Desfontaines, ancien propriétaire du lieu.
N’oublions pas un certain nombre d’historiens (Viernet, Moiroux, Jean-Baptiste Hillairet) qui par leurs œuvres ont contribué à sa notoriété. Il est intéressant de noter que presque tous sont inhumés au Père Lachaise, à l’exception bien sûr de Napoléon qui en avait pourtant émis le souhait. En revanche, François d’Aix de la Chaise qui n’eut bien entendu aucun rôle dans la création du cimetière, n’y repose pas.
Qu’appelle-t-on le « secteur romantique » ? Il s’agit du secteur le plus ancien du cimetière, aménagé à flanc de colline. Il comprend les tombes les plus anciennes, en particulier celles des personnages liés au Premier Empire. Ce secteur fut classé en 1962.
A quoi ressemble le Père Lachaise aujourd’hui ? Il comporte 97 divisions qui résultent d’agrandissements successifs. On peut le diviser en quatre parties bien distinctes.
Les divisions «du haut», celles immédiatement accessibles par la Porte Gambetta, forment l’extension la plus moderne du cimetière : terrain plat, allées rectilignes, végétation clairsemée. Les dalles conformistes, de loin les plus abondantes, y côtoient les chapelles et les monuments parmi les plus originaux du cimetière.
Les divisions centrales du « secteur romantique » forment un ensemble harmonieux : végétation touffue, pentes parfois raides, chemins de terre, monuments plus ou moins ruinés.
Le quart nord-ouest, accessible par la Porte des Amandiers (la plus proche de la station de métro « Père Lachaise »), s’étale en pente douce vers le boulevard : moins riche en célébrités, cette partie possède un grand nombre de chapelles imposantes de la fin du 19ème siècle édifiées à la place des anciennes fosses communes. Elles côtoient des dalles plus modestes.
La septième division, à droite de la Porte du Repos, correspond à l’ancien cimetière juif autrefois séparé du reste de la nécropole par un mur dont on aperçoit encore les fondations. Ses allées ombragées, ses tombeaux encore essentiellement israélites, lui donnent un caractère bien distinct. La consultation d’un plan récent du Père Lachaise permet de repérer aisément ces différentes parties.
Combien y a-t-il eu d’inhumations au Père Lachaise depuis son ouverture ? Plus d’un million.
Combien y a-t-il de tombes aujourd’hui ? Le Père Lachaise compte aujourd’hui plus de 69 000 sépultures. Combien y a-t-il de cases au columbarium ? On compte autour de 26 500 cases sur trois étages.
Quelques records :
– La première personne inhumée, selon les registres du cimetière, est une fillette de cinq ans, Adélaïde Paillard de Villeneuve, inhumée en 1804. Cette tombe a disparu.
– La pierre tombale la plus ancienne a été déplacée et se trouve dans l’actuelle division 60 : c’est celle de Reine Févez. Les défunts les plus anciens seraient contemporains du XIIème siècle : ce sont Héloïse et Abélard dont les restes hypothétiques ont été transférés en 1817 dans le but de promouvoir la notoriété du cimetière. Citons également Molière et La Fontaine dont les restes, hypothétiques eux aussi, furent amenés à la même époque.
– La première chapelle, celle du comte Jean Henri Louis Greffulhe, a été édifiée en 1810, par l’architecte Alexandre Théodore Brongniart, dans la division 43.
– La première sculpture date de 1809 ; c’est la stèle cénotaphe du dragon Antoine de Guillaume-Lagrange, dans la division 29.
– La pleureuse en marbre, de 1816, de la sépulture du négociant Pierre Gareau, dans la division 10, est la première statue grandeur nature.
– La plus haute sépulture est le « phare » du baron Félix de Beaujour, qui culmine à 20m de hauteur, dans la division 43. C’est l’œuvre de l’architecte François Alexis Cendrier, vers 1837. On peut l’apercevoir du haut de la Tour Eiffel.
– La sépulture la plus monumentale est le mausolée de la comtesse russe Demidoff, déplacé par son fils, vers 1845, de la division 27 vers la division 19.
– La chapelle la plus grande est celle d’Adolphe Thiers, chef du gouvernement qui réprima la Commune dans le sang, dans la division 55.
– Les pierres les plus anciennes du cimetière sont les restes archéologiques rapportés par le baron Bory de Saint-Vincent de son voyage en Grèce et qui s’accumulent sur sa tombe, dans la division 49.
Sources : Will (Nicolas) Le Père Lachaise, Petit Guide de la mort suave, Mosquito, 1995.
Date de création : 2005-07-07.