Savorgnan de Brazza, grand voyageur durant son existence, l’est aussi depuis son décès en 1905. Tout d’abord inhumé à Dakar, où il décède, puis transférée au Père Lachaise par le gouvernement qui envisage de le faire entrer au Panthéon, sa dépouille, par la volonté de son épouse, part pour Alger où sa famille possède une propriété, en 1907. Mais, ce n’est pas tout, le destin veille, et réserve à ses cendres encore une aventure.
Le Congo, le réclame. Brazzaville, cité qu’il a fondée, veut devenir sa dernière aventure, son dernier repos. Elle construit pour lui un mausolée grandiose qui fait grincer bien des dents sur place et en France. Il y est transféré en 2006. Et si l’on découvrait ce personnage hors du commun ? (Régis Dufour Forrestier)
Pierre Savorgnan, comte de Brazza, est né à Castel Gandolfo, près de Rome (Italie), le 25 janvier 1852. C’est le septième enfant d’une famille de la noblesse italienne. Les récits de son père qui a parcouru l’ensemble du bassin méditerranéen bercent son enfance. Assidu de la lecture des écrits des grands voyageurs et des atlas de la bibliothèque familiale, le jeune Pierre se passionne très jeune pour les voyages et la découverte.
Le jeune garçon est très vif, remuant, toujours en mouvement. Il rêve d’être marin. A Paris, l’Amiral de Montignac, ami de la famille, l’aide à préparer le concours de l’école Navale. Il le passe et le réussit à titre d’étranger, en décembre 1868. En 1870, quand éclate la guerre Franco-prussienne, il est aspirant. Il demande à servir dans une unité combattante de la flotte. A la fin du conflit, en 1871, l’avènement de la 3eme République lui donne pour affectation la Vénus.
Le navire croise au large du Gabon, c’est la première approche de Brazza avec l’Afrique. La Vénus est affectée à l’interception des navires négriers, la traite étant une activité désormais illégale (en théorie depuis 1848). La Vénus navigue sur l’embouchure du fleuve Ogoué en 1874. Savorgnan de Brazza a l’idée de remonter le fleuve pour prouver que celui-ci et le Congo ne sont qu’un seul et même fleuve.
Mais sa naturalisation retarde son projet (il est, à cette époque, toujours italien). Devenir français lui fait, en effet, perdre tous ses grades. Il doit rentrer en France pour obtenir son brevet de capitaine au long cours et pouvoir réintégrer la Marine Nationale au grade d’enseigne de vaisseau. Quelques mois après, il est de retour en Afrique. Pendant son séjour obligé à Paris, il obtient du Ministère de la Marine l’ordre de mener l’exploration de l’Ogooué.
Il quitte Libreville à bord d’un petit vapeur le 3 novembre 1875. Il remonte le fleuve jusqu’à Lambaréné. Deux mois lui seront nécessaires pour réunir le matériel, les pirogues et les équipages nécessaires à la poursuite de l’exploration. Le 10 février 1876, il aborde à Lopé. Durant tout le trajet, il multiplie les palabres et négociations avec chefs et les rois des contées traversées. Les escarmouches et accrochages avec les trafiquants d’esclaves sont nombreux.
A chaque fois, Brazza libère les esclaves. Il atteint le confluent de l’Ogooué avec la rivière Passa, en juillet 1877. Brazza doit se rendre à l’évidence, l’Ogooué n’est pas le fleuve Congo, trop de rapides et trop de chutes réduisent à néant ses espoirs. Ce n’est donc pas la grande voie de pénétration fluviale qu’espéraient les autorités françaises. Malgré tout, l’expédition continue, et remonte le cours du N’Gambo.
C’est un affluent d’un fleuve plus important qu’il nomme Alma. Brazza et ses hommes se trouvent bientôt face à face aux Apfourous en juillet 1878. Ce sont les redoutables maîtres du commerce sur le fleuve Alma. Ils tirent leurs profits de l’ivoire et de l’esclavage. Ils n’hésitent pas à attaquer la petite troupe réduite à trois blancs et treize tirailleurs sénégalais, plus quelques porteurs. Brazza est très irrité de la défense et de la protection de ce monopole qu’il est venu conquérir.
Mais les Apfourous sont des commerçants méfiants et qui se révèlent impitoyables pour le transfert de toute marchandise par le fleuve. L’explorateur résiste, puis bat en retraite, les munitions arrivant à épuisement. La petite troupe est exténuée et malade. Le 11 août, Brazza ordonne le retour. Pourtant, il n’est qu’à deux cent kilomètres du fleuve tant espéré. Il revient en France, et tente de monter une nouvelle expédition.
Il est plus que temps, la course aux nouveaux territoires fait rage en Europe. L’anglais Stanley, engagé par le Roi des belges Léopold II, doit se lancer à la conquête de cette partie du continent africain. Pour sa part, Savorgnan de Brazza reçoit l’aval du gouvernement et l’aide et le soutien précieux de Jules Ferry alors ministre de l’Instruction Publique, défend défenseur de la politique coloniale de la France.
Il s’embarque pour le Gabon le 27 septembre 1879. On organise rapidement l’expédition mais Stanley a quelques mois d’avance. Brazza possède un atout de taille, le Makoko, le Roi des Tékés (Batékés) a choisi son camp : il donne l’ordre de laisser passer Brazza. Celui que l’on nomme déjà le Père des esclaves semble plus digne de confiance que Stanley qui lui s’est taillé une réputation de tueur dans l’esprit des populations indigènes.
On dépêche un émissaire à Brazza qui veut d’abord arriver au grand fleuve Congo. C’est chose faite le 1er octobre 1880. Le surlendemain, Brazza rencontre le Makoko à Moé, sa capitale. Ils signent un traité qui place le royaume sous la protection de la France. Sur le moment, personne ne sait vraiment que la rive ouest du Congo devient française. On fonde un poste avancé, N’Tamo, qui deviendra bientôt Brazzaville.
Au voyage de retour, le détachement trouve les sources de l’Ogooué. La chambre ratifie le traité entre le Makoko et Brazza, le 30 novembre 1882. Toutes les régions explorées sont désormais placées sous protectorat français. Brazza devient lieutenant de vaisseau. Il se voit confier une troisième exploration pour renforcer les points de contrôle et créer de nouveaux postes le long du fleuve.
Brazza s’embarque avec le titre de commissaire général de la République de l’Ouest africain. L’acte général de la conférence de Berlin, en 1885, reconnaît les droits de la France sur le Congo. En novembre 1885, il devient commissaire général du gouvernement dans le Congo français. Il occupe ce poste jusqu’en 1897. Malgré tout, il continue ses explorations. Il organise l’administration de la colonie puis il est mis en disponibilité en 1898.
Brazza démissionne de son poste au mois de mai de la même année. Il s’installe avec sa famille à Alger. La République le rappelle quelques années plus tard suite à de nombreux scandales financiers. Il part pour le Congo pour une tournée d’inspection. Mais, au retour, il décède à Dakar (Sénégal), le 14 septembre 1905. Les circonstances de sa mort demeurent mystérieuses.
Selon sa femme, il aurait succombé à un empoisonnement orchestré par les compagnies de commerce, à ce jour, aucune preuve tangible n’a pu être établie. Quoi qu’il en soit, son décès demeure suspect. On rapporte son corps en France. Savorgnan de Brazza a des obsèques nationales, des milliers de personnes suivent son convoi jusqu’au Père-Lachaise.
Le gouvernement hésite entre l’inhumation au Panthéon ou aux Invalides mais sa veuve refuse ces propositions et décide d’ensevelir la dépouille à Alger dans la sépulture où repose déjà leur fils. Il reste donc au Père Lachaise (chapelle de la famille Esnée) du 03/10/1905 au 19/12/1908, date à laquelle on le transfère dans un mausolée à Alger.
En 2005, le Haut Comité des Célébrations Nationales commémore le décès de celui qui reste :
« une des plus hautes figures de la geste coloniale française »
selon l’historien Jean Martin. Jacques Chirac, lui non plus n’a pas oublié : le samedi 5 février 2005, il participe « avec une certaine émotion » à la pose de la première pierre du mausolée de Savorgnan de Brazza à Brazzaville (Congo).
Le 26 septembre 2006, on exhume les corps de l’explorateur et de cinq membres de sa famille du cimetière chrétien des Brus à Alger en présence des ambassadeurs de France et du Congo, ainsi que de représentants des autorités algériennes. La cérémonie officielle de réinhumation a lieu le 3 octobre 2006 à Brazzaville, en présence du ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, dans un mausolée couteux et inauguré à grands frais.
Sources : Le Petit Journal ; Fondation Savorgnan de Brazza ; Conservation du cimetière. Date de création : 2006-04-30.