Joel GENDREAU, graveur funéraire

Joel Gendreau, est un ami et correspondant de l’APPL. Nous vous proposons de découvrir l’homme et l’artiste à travers sa vie et son œuvre, mais, cédons-lui la parole. (Regis Dufour-Forrestier)

Elles sont rares les réflexions sur la mort, ses lieux, ses traces. Il est banal d’évoquer ici un tabou. A cet égard, lire « la lettre de l’APPL » est bien utile. J’ai été particulièrement sensible au dépassement de l’expérience individuelle avec la dimension historique, et à une expression qui me semble pouvoir permettre à chaque approche confessionnelle, agnostique… de trouver ici un écho.

Alors, comment essayer d’apporter ma pierre? Je vais résumer mon parcours : artiste-graveur, aujourd’hui, j’ai une formation de psycho-sociologue… qui ne nous éloignera pas trop du funéraire ! Auteur d’un livre publié aux Presses Universitaires de Rennes, « L’adolescence et ses « rites » de passage », j’ai travaillé à la prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Ici, je mettrai l’accent sur quelques conclusions : la perte des références symboliques et spirituelles allant de pair avec l’évolution des grandes institutions pourvoyeuses de sens, une confusion conceptuelle aggravant cette perte.

Les aspects formels, notamment rituels obéissent à la même tendance. J’ai surtout spécifié le concept de rite de passage, de classe d’âge, trop souvent confondu avec le rite d’initiation et pire encore, utilisé pour rendre compte des pratiques dé-socialisatrices (drogue, alcool, bizutage…). Ici, la nostalgie tente certains.

Objectivement, la conséquence de cette situation, au niveau de la mort, c’est une interrogation devenue de plus en plus rare, voire impossible. Éludée auprès des jeunes autant que faire se peut par les parents et les aînés, la conséquence est une interrogation dans le quotidien, dans une confrontation au réel. Les professionnels de santé auprès des adolescents parlent alors de conduites à risque, de rites ordaliques ; ils désignent ainsi des pratiques qui « tournent » autour du mortifère de façon répétitive et de plus en plus risquée.

L’innovation en la matière semble inépuisable: le « jeu du foulard » dans les écoles, est une des de première pratiques apparues. Aujourd’hui, la mort devient «à risquer », on ose quelque chose de plus ou moins dangereux, mortifère. La mort n’est plus, ou mal symbolisée. Frappe-t-elle qu’elle laisse sans mot, sans image. La mort symbolique qui sous-tend tout rite de passage, et plus particulièrement un rite initiatique est devenue une place vide.

Avant de poursuivre vers les images à graver qui m’occupent aujourd’hui, je dirai deux mots de mon parcours artistique. Peindre et dessiner, je l’ai toujours fait. A 45 ans, je réalise ma première exposition. Encre, aquarelle et dessin ont ma préférence alors, de l’exigence de la plume et de l’encre de Chine, à la fluidité de l’aquarelle comme complémentaire. En dépit de succès d’estime, d’exposition en galerie, dans certains salons, le contexte économique est rude pour le marché de l’art.

Mon travail est figuratif et, comme je me risque au portrait sur commande, c’est au vu de l’un d’eux qu’un graveur-lettreur, un jour, me sollicite pour un travail sur une plaque de granit. Je m’y suis risqué, et j’y ai pris goût. Satisfait des premières réalisations, j’ai aussi constaté l’intérêt des marbriers pour ce type de travail au rendu bien particulier. Je réalise mes portraits exclusivement à la pointe de diamant sur granit noir, du marlin, et je les mets en couleur avec une peinture blanche.

Considérant aussi les décorations funéraires en général, je pense pouvoir y apporter un peu de « ma patte ». Je propose de graver l’idée que l’on a : un métier, une maison certes mais aussi des goûts, une idée philosophique… pourquoi pas. Les décorations funéraires sont souvent très stylisées, un peu stéréotypées, répétitives. Mon style de gravure est plus proche d’un dessin classique. Ainsi, parti d’un motif très commun, une rose, j’ai choisi un angle de vue mettant en valeur son feuillage et l’éclairage. Qui dit lumière, dit ombre.

Je réalise la gravure de la rose à la pointe de diamant et, avec un maniement particulier du sablage, la lumière et l’ombre. Ce motif servira de base pour une stèle d’un fabriquant de Dinan, la Sodigranit. Elle le fera figurer dans son catalogue. De la rencontre avec les marbriers, j’ai conclu à la nécessité de proposer des motifs.

La personnalisation a bien sûr un coût. Mais les motifs réalisés en petite série (maximum de 50 exemplaires) permettent de proposer mes gravures plus largement. Bien sûr, je reste fidèle au travail à la main, à la pointe de diamant. Je réalise mes motifs à partir de dessins, de photos garantes d’une même approche figurative. Certains motifs paraissent plus originaux, tel ce « Let it be » qui devraient parler à certains amateurs des années 60. Je suis sensible au patrimoine qu’il soit local ou historique. J’illustrerai mon propos par une réalisation.

Comme brestois, natif des Sables d’Olonne, j’aime le monde maritime. Et qui ne s’émerveille pas devant le spectacle d’une vague s’écrasant sur un phare ? Mais le graver présente quelques difficultés. Une gravure peut grouper trois techniques: la pointe de diamant pour le phare et le mur, devant à droite, le « sablage », réalisé à la main, pour le ciel, et la pointrole pour éclater la pierre restituant un peu de la puissance de la vague. Un paysage ou un arbre peut donc être gravé avec ses nuances qui en feront le charme.

Pour conclure, parlons d’un projet qui concerne l’actualité. J’ai appris que la tombe de Léopoldine Hugo mériterait une restauration. Comme je suis un peu extérieur au monde funéraire, j’ai réfléchi aux décorations, aux motivations des descendants des défunts. M’était revenu en mémoire un poème de Victor Hugo :

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends… »

Et le poète de terminer ainsi :

« Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »

Et bien, désireux de prolonger dans le granit ses paroles, j’aimerais bien graver ce bouquet. J’en ai réalisé une esquisse. Elle retiendra peut-être l’attention du maire de Villequier, charmante bourgade du bord de Seine où Léopoldine trouva la mort.

Pour découvrir le site de Joel Gendreau.

Sources : J. Gendreau. Date de création : 2008-10-19.


Date de la dernière mise à jour : 19 novembre 2024