Jean-Pierre Bertrand voit le jour en 1937, à Paris. Il décède à Paris, le 29 juin 2016.
Extrait : (du journal Le Monde, par Philippe Dagen, le 5 juillet 2016) :
« L’artiste Jean-Pierre Bertrand est mort à Paris mercredi 29 juin. Il y est né en 1937. Situation plus que paradoxale que la sienne : son œuvre a été montrée dans des lieux et des circonstances prestigieux et il n’en est pas moins demeuré un homme secret. Peu connu hors du monde de l’art lui-même, il exposa cependant à l’ARC en 1981, au Centre Pompidou en 1985, à la Documenta de Kassel en 1992, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1993, au Carré d’art de Nîmes en 1996.
En 1999, il est choisi pour occuper le pavillon lors de la 48e Biennale de Venise. Il le partageait avec Huang Yong Ping, dont le serpent géant de métal sinuait récemment au Grand Palais. On n’y aura pas vu Bertrand, très éloigné de ce genre d’attraction. On ne l’a pas plus vu dans des expositions collectives consacrées à des mouvements ou à des théories, rangement auquel il est aussi allergique qu’au genre de la rétrospective.
Pour se prémunir contre ce dernier, il maintenait le silence sur sa vie, sa formation et ses débuts. Le catalogue publié en 1985 par le Centre Pompidou ne contient ainsi aucune indication biographique, ni la moindre parole de l’artiste. La triade sel, miel, citron On sait seulement qu’après des débuts professionnels dans le cinéma comme chef opérateur, il accomplit ses premiers travaux de plasticien dans la seconde moitié des années 1960.
Ils lui sont suggérés par la figure de Robinson Crusoé, ce qui en dit long sur sa passion pour l’écart. Ce sont des sortes d’installations filmiques graphiques avant qu’il ne prenne pour matériaux des produits issus de la nature : le sel, le miel, les citrons. Ils sont demeurés par la suite les éléments essentiels de son langage plastique, parfois en compagnie de tables et de miroirs.
Leur sont associés des dessins aux traits brisés et des lettres dont on comprend la présence quand on découvre que ce sont les initiales, en anglais, de « honey », « salt » et « lemon ». Tous trois lui servent à tacher et colorer des papiers qui prennent des airs de parchemins ou de très vieilles cartes. Ces premiers travaux sont montrés, d’abord au Musée de Ludwigshafen en 1970 : c’est l’époque où les jeunes artistes – Annette Messager, Christian Boltanski par exemple – sont mieux reçus en Allemagne qu’en France.
Ils sont assez remarquables pour convaincre la galeriste américaine Ileana Sonnabend, qui n’a pas encore à cette date quitté Paris pour New York, de l’exposer en 1972, suivie par un autre galeriste de qualité, Eric Fabre, en 1975. A Partir de 1976, ses travaux ont alors quelques accointances avec l’Arte Povera de ses contemporains italiens.
En 1976, l’exposition nommée « La totalité des citrons », à la chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, le fait accéder à une reconnaissance plus large, tout en associant son nom de façon définitive à cet agrume, qu’il laisse alors vieillir et pourrir sur un miroir, et à sa couleur jaune, dont les peintres se méfient le plus souvent.
Elle n’est pas seule cependant, rejointe souvent par les deux autres primaires, rouge et bleu, à l’état de monochromes souvent, et par le noir. Ses travaux ont alors quelques accointances avec l’arte povera de ses contemporains italiens. Dans la décennie suivante, Bertrand met au point une manière différente de présenter ses manipulations picturales et organiques à la fois.
Les surfaces sont prises dans une structure, cadres métalliques et feuille de Plexiglas, ce qui leur confère une épaisseur d’objets et faisait dire à l’artiste qu’il s’approchait de la sculpture. Il demeure cependant fidèle à la triade sel, miel et citron, dont il fait, si l’on peut dire, miroiter les sous-entendus mythologiques, religieux et symboliques.
Des philosophes grecs à la Bible, du sel répandu sur les ruines de Carthage à la femme de Loth changée en colonne de sel, du miel du mont Hymette à celui des métaphores amoureuses, on n’en finirait pas de faire l’inventaire des lectures et souvenirs que ces éléments faussement simples peuvent rappeler, infinis jeux d’allusions et de variations.
C’est eux qu’il déploya en 1999 à Venise. Sans doute étaient-ils trop subtils et pas assez spectaculaires pour une époque qui attend des artistes qu’ils produisent forte impression et fassent du bruit, tout le contraire de la conception poétique que Jean-Pierre Bertrand avait de l’art.»
Sources : Le Monde (05/07/2016). Date de création : 2017-02-24.